Hier, j’ai terminé la lecture de « L’art de la Guerre » de Sun Tzu. Ce livre écrit par un général chinois du VIème siècle est toujours très apprécié par nombre de dirigeants dans la mesure où la plupart de ses conseils peuvent être transposés à la vie contemporaine. Par exemple dans le contexte de l’entreprise : comment surprendre ses ennemis (= les concurrents), comment conquérir leur territoire ( = parts de marché), comment guider ses soldats (= manager ses salariés).
En règle générale, l’écrivain n’a pas d’ennemis mortels à embrocher, n’a pas pour objectif de prendre des parts de marché (la politique éditoriale et la commercialisation étant plutôt le rôle de l’éditeur), pas de volonté particulière de domination. Pour ce que j’ai pu constater, en littérature jeunesse, il règne plutôt une franche camaraderie entre auteurs. Et ça c’est précieux !
Ah… J’en vois un qui lève la main au dernier rang. C’est Anastase, mon contradicteur interne. Parlez mon bon ami !
« Dans ce cas, pourquoi que c’est-y que tu nous causes de l’Art de la guerre ? »
Merci pour cette question. J’y viens.
Selon moi, ce bouquin de Sun Tzu est également riche en enseignements utilisables dans le domaine de l’écriture. Il suffit de partir du principe que le champ de bataille de l’auteur est la création, c’est à dire son Å“uvre littéraire en cours, et que son armée est constituée d’un contingent de neurones qui s’agitent. Ceci est bien-sûr une interprétation très libre et improvisée, qui s’éloigne un peu du cÅ“ur du message (qui reste très martial). Pour plus de rigueur, je vous conseille plutôt ce site.
Voyez plus tôt ce qu’il raconte :
« Si nous voulons que la gloire et les succès accompagnent nos armes, nous ne devons jamais perdre de vue : la doctrine, le temps, l’espace, le commandement, la discipline. »
La « doctrine » et la « discipline » me semblent plutôt aller de soi. En gros ouais, narmol, si on veut écrire on s’arrange pour s’y atteler régulièrement, même s’il y a des jours où il faut sacrément se forcer. C’est la base, même si je vous accorde volontiers que c’est le plus hardos. Cependant, je n’ai pas grand chose de neuf à ajouter sur ces points pour le moment. Je me concentre donc sur les trois autres qui sont moins souvent abordés. Ceux-ci donneront lieu à trois billets parce que sinon je sens que je suis partie pour bavasser sur ce blog jusqu’à minuit. Commençons donc par :
Le temps
« Si nous connaissons bien le temps, nous n’ignorerons point ces deux grands principes Yin et Yang par lesquels toutes les choses naturelles sont formées et par lesquels les éléments reçoivent leurs différentes modifications ; nous saurons le temps de leur union et de leur mutuel concours pour la production du froid, du chaud, de la sérénité ou de l’intempérie de l’air« , écrit Sun Tzu. Et moi je trouve qu’il a grave raison, le bougre. Pour gagner cette bataille contre soi-même qu’est l’écriture d’un roman, mieux vaux se pencher stratégiquement sur cette question.
En matière de temps, l’auteur doit répondre à trois questions primordiales :
-A quelle heure de la journée dois-je écrire ?
-Quel est le bon moment pour commencer mon roman/ma pièce de théâtre/mon recueil de poèmes/mon traité sur la physique quantique ?
-Combien de temps pour achever la rédaction ?
Quand est-ce que c’est-y que je m’y COLLE ?
« Comme il est essentiel que vous connaissiez à fond le lieu où vous devez combattre, il n’est pas moins important que vous soyez instruit du jour, de l’heure, du moment même du combat ; c’est une affaire de calcul sur laquelle il ne faut pas vous négliger. » (Sun Tzu)
Nous avons tous des emplois du temps chargés de trucs et de machins, personnels comme professionnels. La petite Renoncule à chercher à la crèche, le petit Myosotis a trimballer à son cours de Saxophone Alto. Le boulot/le lycée. Les courses chez Auchan. Plier le linge, etc etc etc. Face à ces contraintes, l’enjeu est de trouver le moment 1/durant lequel vous bénéficiez de temps libre 2/qui soit propice à votre concentration et à votre travail.
Amélie Nothomb affirme qu’elle se lève à quatre heures du mat’ pour écrire. Probablement parce que ce moment-là est celui où son cerveau est le plus en éveil et le plus propice à la création. Cette heure-là ne convient pas à tout le monde. Perso, me demander de m’atteler à un travail nécessitant mes pleines capacités avant 11 heures, c’est pour le moins risqué. En revanche, entre 20h et 23 heures, je pète le feu.
Choisir le bon moment pour écrire ce n’est donc pas uniquement une affaire de trou dans l’emploi du temps. Il s’agit aussi de savoir quand ses troupes (les neurones donc), sont le plus à même de se mettre en branle. Si elles sont mal réveillées le matin, écrire devant le bol de Choco pops du petit dej n’est pas l’idée du siècle. Si elles sont souvent épuisées après une dure journée de labeur, se mettre devant sa feuille après dîner sera difficile. L’idée est de se connaître soi-même, de s’observer, pour savoir quand nos facultés sont à leur summum, l’objectif étant de parvenir à dégager du temps à ce moment précis. Plus les années passent, plus je constate qu’il est dur de changer en profondeur sa nature… Plutôt que d’aller contre le vent, autant identifier le moment où celui-ci vous poussera et vous aidera à naviguer à vive allure.
C’est quand, le bon moment pour entamer mon Å“uvre ?
« Il y a le temps de mettre le feu, il y a le jour de le faire éclater » (Sun Tzu)
Vous avez envie de vous lancer dans l’écriture d’un roman ? Trop cool ! Mais la question à se poser c’est : est-ce le bon moment pour le faire ? Cette interrogation se reformule ainsi : « Ai-je un concept de ouf que j’adore, des idées de lieux et de personnages qui m’inspirent tellement que je suis prêt à me cogner d’écrire régulièrement pendant des semaines, voire des mois ? Ai-je l’énergie pour cela ? Suis-je prêt à faire de cette activité ma priorité ?
Je m’exprime ici avec beaucoup d’humilité. Je connais des auteurs capables d’écrire beaucoup, vite, et en plus de faire des trucs géniaux à chaque fois (#jalousie). C’est, j’imagine, l’effet d’une disposition d’esprit, d’une vraie discipline, mais je pense également le fait de l’expérience. Ces auteurs maîtrisent l’art du roman et ont acquis de bons réflexes.
Pour ma part, au cours de l’année qui vient de se produire, j’ai voulu me forcer. Après les difficultés rencontrées suite à la rédaction de La légende de Lee-Roy Gordon, je me disais qu’il serait de bon ton de m’astreindre à écrire un roman « qui ne me prendrait pas la tête ». J’ai eu des idées, dont certaines que je n’abandonne pas. J’ai commencé plusieurs choses avec plus ou moins d’entrain. Le fait est que rien de ce que j’ai pu produire à ce moment-là ne m’a satisfait. Je m’aperçois aujourd’hui qu’entre la formulation d’une idée, sa décantation, et la réalisation, il me faut plusieurs mois. Finalement, le manuscrit que j’ai remis récemment est le fruit d’une vraie réflexion et pas d’un coup de tête.
Le cerveau fonctionne à son propre rythme. A vous d’identifier le moment où vous serez prêts : le moment où les choses sérieuses commencent. Pour autant, cela ne signifie pas que le travail d’écriture se fera finger in ze noze : il faudra quand même se forcer. C’est une chimie très difficile : savoir quand on est prêt à se pousser au derrière (voir pour cela mes prodigieux conseils anti page blanche) sous peine de ne jamais rien produire du tout.
Combien de temps que ça va me prendre tout ça ?
Ça peut vous prendre 10 jours (kikoo Simenon) ou neuf ans (kikoo Tolkien). Youpi.
Là encore, l’erreur est de presser les choses inutilement. Ce qui n’est pas en contradiction avec la nécessité de s’y astreindre régulièrement avec des objectifs clairs (du genre « une page par jour » par exemple). Au contraire, forcer un peu ses troupes est indiqué à la condition d’avoir une indulgence par rapport à ses premiers écrits. La première version peut-être nulle. Ou pas-mal. Ou plutôt chouette. En tout cas, elle sera très probablement moins bonne que la version suivante, elle-même moins bonne que celle d’après.
Plus on peine à cerner son univers, plus il est important d’accepter de revenir en arrière. De faire des coupes, d’enlever ou de rajouter des trucs et des machins. Plus on écrit, plus la vision que l’on a de son récit et de ses personnages se fait précise, et plus, du coup, il faut revoir ce que l’on a déjà écrit en fonction de ces contours clairs. Et cela doit durer le temps que ça durera.
Je laisse la conclusion à Sun Tzu :
« Connais toi toi-même, connais ton ennemi, ta victoire ne sera jamais mise en danger. Connais le terrain, connais ton temps, ta victoire sera alors totale.«Â
Répondre à Ruses d’autrice #2 : le temps de l’écriture