Hier fut une journée historique.
Pour moi en tout cas.
J’ai enfin terminé un roman sur lequel je travaillais depuis des années. Les datations au carbone 14 mettent en évidence des traces de ce projet dès l’an de grâce 2011. Et hier, HIER, j’ai mis K.O. ce motherfucker en lui assénant un splendide point final. BIM.
Des heures, des jours, des mois entiers à écrire, barrer, relire, reformuler, élaguer, remplumer, rafistoler, consulter fiévreusement le dictionnaire des synonymes, lire 894 pages Wikipedia, surfer sur des sites de bricolage ou d’architecture à la recherche des termes appropriés (j’en parle ici, si ça t’intéresse)… J’ai supprimé des personnages, les ai fusionnés avec d’autres. J’ai mis à la poubelle des chapitres entiers qui allongeaient inutilement l’intrigue.
Et enfin, il est là , il existe, exactement comme je le voulais. Beau comme un camion.
« Chier des catapultes »
Je lui souhaite un splendide avenir, bien entendu, et une adaptation à Hollywood dans lequel je ferais un caméo fort remarqué aux côtés d’Ezra Miller. Mais avant, faisons une pause, célébrons en nous engouffrant un paquet de crêpes, et tirons les enseignements de cette expérience.
Tous les romans que j’ai écrits m’ont appris quelque chose. Tous, sans exception.
Celui-ci m’a appris la fucking persévérance. Oh, d’autres avant lui m’ont donné du fil a retordre, d’une manière que seul le grand Gustave Flaubert a su décrire convenablement lorsqu’il écrivait Sâlammbo :
« Je sue du sang, je pisse de l’eau bouillante, je chie des catapultes et je rote des balles de frondeurs. »
Gustave Flauber
Pour moi, ce jeune roman, c’était le summum. Des années dans le désert avec une oasis tous les 800 km. Mon fidèle chameau a failli y rester. Gentil chameau.
Laboure ton champ
On me demande souvent ce qu’il faut pour devenir écrivain. Faut-il avoir de l’imagination ? Lire beaucoup ? Être bon en grammaire ? Peut-être un peu de tout ça, en effet. Cependant, plus le temps passe, plus j’ai le sentiment que le premier critère c’est la capacité à ne jamais lâcher.
Un écrivain, c’est un peu comme un percheron qui labourerait à lui tout seul un champ énorme, sans même avoir l’assurance que la récolte sera bonne (ou qu’il y aura une récolte tout court).
Quand je lis des romans, autrement plus épais que les miens, je suis prise d’une grande admiration, a fortiori si en plus d’être épais, leur contenu est génial. Parce qu’en fait, être génial de temps en temps, c’est fastoche… Mais être génial sur 700 pages, c’est une autre paire de manches. Je crois Flaubert sur parole, quand il évoque ses catapultes.
Alors bien sûr, on me répondra que certains romans très bons s’écrivent très vite. Ce qui est tout à fait vrai, ma foi. Des écrivains feront valoir qu’ils n’accouchent pas dans la douleur, ce dont je me réjouis infiniment pour eux (ce n’est pas ironique). Enfin, on peut aussi me dire qu’écrire, c’est aussi un plaisir. Là encore, je ne dirai pas le contraire : pourquoi s’infliger ça si l’on en tire aucune satisfaction ?
En revanche, on peut être enthousiasmé par son projet, vouloir absolument le voir aboutir et… trouver, certains jours, que l’écrire est une sacrée purge. #nofilter
Ce sont ces jours là qui font la différence : va-t-on tout lâcher pour d’autres activités plus utiles et immédiatement gratifiantes OU poursuivre ce chapitre du milieu (le fameux « ventre mou », ou l’équivalent du kilomètre 22 pour le marathonien) qui n’apportera aucun retour sur investissement à moyen terme ?
Cent fois sur le métier…
Et devine quoi ? Une fois que tu as écrit ton joli livre, il faut être prêt à recommencer tout ce bazar et à en écrire un autre. Puis un autre. Puis encore un autre. Puis encore un… Bref, tu m’as comprise.
Dans son dernier livre traduit, « Profession : écrivain », Haruki Murakami résume :
« Écrire un roman n’est pas très difficile. (…) Ce qui est particulièrement ardu, en revanche, c’est d’écrire des romans encore et encore. Tout le monde n’en est pas capable. (…) Il faut disposer d’une capacité particulière, qui est certainement un peu différente du simple ‘talent’. Bon, mais comment savoir su l’on possède une telle aptitude? Voici la réponse : plongez dans l’eau et voyez si vous nagez ou si vous coulez. »
Haruki Murakami
Perso, je ne sais pas encore si je suis une écrivaine qui flotte ou une écrivaine qui coule. C’est l’un des charmes secrets de ce métier, qui en fait à la fois l’intérêt, et la difficulté. Pour être fixée, rendez-vous dans dix ou vingt ans. Qui sait, un jour, selon les circonstances de vie ou d’insuccès, je pourrais décider que j’en ai un peu marre de tout ça, et aller m’adonner à d’autres occupations tout aussi valables. Construire des meubles par exemple. Créer des objets de mes mains.
Pour l’heure, le point final apporté à ce roman – indépendamment du sort qui lui sera réservé – est une victoire. C’est le sixième roman « long » que j’achève (quatre ont été publiés, un autre doit être revu). A chaque fois que j’en termine un, je me retrouve tout étonnée : par quel miracle ai-je encore réussi à aller au bout ?
Et mon petit dernier, de part les efforts qu’il m’a demandés, me conforte encore plus dans l’idée que je peux continuer de nager un peu.
Que peux-tu tirer de tout cela ? Je ne le sais point. Vois ce texte comme un retour d’expérience. Un témoignage parmi d’autres. Et si tu as envie, toi aussi, de savoir si tu coules ou si tu nages, je t’engage à tenter un beau plongeon.
PS : L’actualité est très riche en ce qui concerne les conditions de travail des auteurs. Le sujet est d’importance, et connecté à ce que je viens d’exprimer puisque notre productivité ne dépend pas que de notre volonté, mais aussi de facteurs économiques. C’est pourquoi je le mentionne ici, et t’enjoins à t’informer sur ce sujet crucial. Cependant, j’ai choisi d’angler ce billet uniquement sur la création parce que je pense que c’est un sujet qui nous parle à tous : aux aspirants écrivains comme aux auteurs confirmés, et à tout ceux qui se trouvent au milieu.
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